Ecrits de passage

Un portrait glacial.

Il observait le monde avec cette distance qui permet de ne point souffrir des émotions transmises par l’excès de proximité. Son regard, pour qui n’était guère habitué, semblait froid, stoïque. Peu d’émotions y transparaissaient. Il était droit, comme un fil reliant le ciel à la terre. Rien ne semblait l’affecter et pourtant, …

Il souffrait d’un mal que les oreilles mondaines ne peuvent comprendre. Il avait le mal du siècle. Malgré son jeune âge, il avait le sentiment d’appartenir à une tout autre époque. Un temps où les valeurs ancestrales étaient encore perpétuées. Son regard froid observait le monde sans jamais s’y identifier. Si semblable à ses contemporains, une distance inexplicable les maintenait éloignées. Plus le temps passait et plus cette distance faisait de même augmentant le sentiment de dure solitude qui, depuis sa naissance, existait en lui.

Les récents événements de son temps lui révélèrent la véracité des prophéties anciennes. Un nombre incalculable de confirmations lui étaient parvenues sans pour autant qu’il parte à leur recherche. Il en vint à comprendre le monde et à se laisser pénétrer par cette force invisible qui permet à l’homme mort de marcher sur le fin fil de la vie. Une lueur avait fini par se loger dans son regard et le maintenait éveillé alors que tout autour de lui s’endormait.

Comment faire pour ne point se révolter ? Il se savait impuissant face aux forces en place. Il se savait incapable de courbettes et de soumission à une autorité illégitime. Alors, que faire pour vivre dans un monde qui tentait, de plus en plus, de le repousser ? Cette question l’obsédait, mais il ne pouvait faire grand-chose mis à part accepter la réalité et composer avec le peu qu’il possédait.

Ce n’était pas de la peur qui l’habitait, mais une forme d’anxiété. Il lui était devenu si difficile à entrevoir un futur possible comme si les voiles du temps s’étaient fermés en ne laissant plus que le présent comme seul référent. À chaque jour suffit sa peine. L’expression, si mondaine, prit un tout nouveau sens. Le brouillard cachait les lueurs du futur. Il n’était possible que de se fier à l’instant présent, à ce qui passait à l’instant. Les lois d’auparavant n’avaient plus aucune force, elles permettaient seulement de mieux comprendre son temps. Comment exister sans pour autant se corrompre ?

Parmi les rêves qu’il chérissait, notre homme ambitionnait de devenir père et de fonder une famille traditionnelle renouant avec les valeurs de ses pères. Mais le monde avait bien changé depuis. L’argent avait pris toute place dans les pensées des gens. Tout tournait autour, rien ne pouvait se faire sans. Pour vivre, il fallait se soumettre à ce système avilissant qui demande de se tuer, symboliquement, pour une réussite temporelle en faisant fi de la simplicité, et en plébiscitant la consommation à outrance. Le monde extérieur l’avait emportée sur celui de l’intérieur. Tout le système dévoilait un visage qui est dur à voir lorsqu’un semblant de conscient continue à nous habiter.

Son regard montrait la vision qu’il portait au monde actuel. Il ne pouvait lui faire confiance. De fait, tout en lui était fermé : émotions, pensées, sentiments, … Il gardait tout cela terré en son for intérieur et ne dévoilait guère cette intime partie qu’en compagnie de ses frères de cœur, cette famille qui partageait avec lui les mêmes valeurs. Bien que son portrait semble glacial, tout en lui n’espérait qu’une seule chose : émaner à nouveau la chaleur qui habitait le monde lors de son âge d’or.

Ecrit le vendredi 29 octobre 2021.

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