Ça m’a sauté à la figure l’autre jour. Je venais à peine de me réveiller, j’avais encore la tête dans le cul. Pas très beau, dit comme ça, mais au moins, tu comprends le sentiment que j’avais sans que je n’aie à te l’expliquer pendant des heures. J’ai tourné le mitigeur au maximum pour avoir l’eau la plus froide possible au creux de ma main avant de la jeter plusieurs fois sur mon visage pour recouvrer mes esprits. Un bref regard dans le miroir, et c’est à ce moment-là que la magie a opéré.
Je me suis vu sans aucun artifice, à nu comme on dirait. Ne te fais pas d’idées, je portais encore mon pyjama. Mon esprit pensif, encore dans la lune, m’a sûrement aidé à voir la vérité. Qu’importe mon aspect, je sais que jamais, au grand jamais, je ne serai parfait. J’ai fini par l’accepter, cette dure réalité. Je n’avais pas trop le choix, ça m’était devenu nécessaire. Il le fallait, si je souhaitais recommencer à marcher. J’ai accepté de retourner en enfance pour retrouver mon essence.
Tu as beau dire ce que tu veux, un enfant, c’est imparfait bien que beau. Enfin, pas toujours, surtout à la naissance. On dira souvent oui, car on veut ménager les parents. Ils t’en voudraient si tu disais la vérité à ce moment-là. La beauté qu’ils voient est tout autre, elle n’est pas d’ordre physique alors que toi, tu ne vois que ça. Le petit, il a encore tout à apprendre. Il commence tout en bas de l’échelon, et ça n’a pas l’air de l’embêter le gamin, non, il en redemande. Il est animé de cette candeur qui pousse les âmes à l’action, sans réflexion au préalable. Il voit le monde innocemment et ne laisse pas son esprit le limiter. Tout lui est possible, il est encore totalement sourd au monde. Il ne sait pas vraiment ce qu’on lui dit, mais ce qui est sûr, c’est qu’il le ressent. Son moteur, c’est apprendre, encore et encore. Pas de miracle, ni de recette secrète. Pour être capable de réaliser quelque chose, il faut s’offrir et le faire jusqu’à la maîtrise.
Impossible, quel est donc ce mot étrange ? Dites-moi, si tout le monde autour de moi peut marcher, pourquoi pas moi ? Mon but est simple, imiter mon environnement sans me poser la question de savoir si cela est du domaine du possible ou non. Rien de plus qu’un désir et un cœur innocent, et des ailes m’enveloppent. Je m’élève, car je suis assez humble pour apprendre. Ce n’est pas la perfection qui me pousse, ô non, si c’était cela, je ne me serais jamais lancé. Je souhaite simplement y arriver, qu’importe l’effort, qu’importe l’imperfection, qu’importent les chutes. Je continuerai et tenterai jusqu’à devenir un grand. Voilà comment parle l’enfant.
Pour tout te dire, j’ai beaucoup raté à vouloir trop bien faire. J’étais pris par cette frénésie de toujours vouloir être parfait. Je n’ai aucune d’idée de la source de ce besoin de se présenter sans reproche. On a tous des tares, on ne peut pas être excellent en toute chose. Et même en dehors de ça, tout s’apprend, il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas ? C’est bizarre à dire comme ça, mais mon plus gros défaut était ce désir imparfait d’être parfait. Une ambition pareille, ça vous détruit une vie. Vous n’imaginez pas le nombre d’opportunités que j’ai raté en refusant ma condition. Ça m’a empêché de parler et de m’exprimer tant vocalement que physiquement. Ça vous bouffe de l’intérieur jusqu’à vous pourrir. Certains en souffrent tellement qu’ils n’arrivent plus à bouger le petit doigt. Ils sont bloqués sur leur chemin, non pas par manque de capacité, mais par un ego si lourd qu’ils ont fini par se confondre avec le sol, un sol mouvant qui finit par vous bouffer.
Aujourd’hui, j’en souffre beaucoup moins, mais j’ai toujours des résidus d’hier. Ça ne part pas comme ça lorsqu’on a passé la plus grande partie de sa vie avec cette pensée limitante. On se focalise bien trop sur la finalité, on veut contrôler tout le processus : du début jusqu’à l’arrivée. On ne s’autorise pas à vivre, ni la vie à s’inviter dans notre vie. C’est une forme de contrôle assez malsaine dans le fond. On se dira perfectionniste, mais arrivée à ce stade, c’est plus un défaut qu’une qualité. Je n’en veux plus, même pas un grain. Non, merci, j’ai assez donné. Je veux vivre moi, et à pleins poumons. Les limites, je les pisse dessus jusqu’à ne plus pouvoir. Et s’il le faut, j’appelle tous mes copains et on leur fera la peau ! Une fois, mais pas deux !
Imagine un peu ta vie si tu t’étais autorisé à être imparfait, comme toute ton expérience aurait été différente. Je ne te dis pas de regretter le passé, non, il est formateur lorsqu’on ouvre les yeux. Je te dis de prendre conscience des limites qui t’ont empêché d’avancer et qui ont altéré ta vision de la réalité. C’est dingue comme une pensée peut tout changer. Imagine-toi faire toutes ces choses auxquelles tu as dit non puisque tu pensais ne pas correspondre au profil, puisque tu ne t’en pensais pas capable, puisque tu avais peur d’être faible, d’être inadéquat, que tu avais peur de te tromper, que tu avais peur du regard des autres. Tu vois à quel point ça peut briser une vie, de se laisser aller au désir de perfection. Un ami m’a un jour dit que le mieux est l’ennemi du bien. Le mieux devient un mal lorsqu’il empêche le bien de se faire. Ce n’est pas d’être parfait qui compte, mais d’y tendre, du moins en esprit. Le meilleur conseil qu’on puisse donner, dans ce domaine, je pense, est d’embrasser son imperfection, d’en rire, de la sacraliser, car parfaits, on ne le sera jamais. Petit enfant deviendra grand pour redevenir enfant dans le cœur, avec un esprit de grand. On devient son propre parent, son propre enfant, parfait dans son imperfection.
Écrit le lundi 24 janvier 2022.