Mystère, grand mystère. La vie est bien mystérieuse. Mon âge ne changera en rien mon étonnement face aux évènements de plus en plus incongrus qui croisent ma route. Je ne suis rien d’autre qu’un pêcheur d’eau douce. Démuni face au monde, je ne suis muni que d’une simple canne-à-pèche et d’un chapeau de paille. Ma fortune ne se trouve pas sur moi, elle est enfouie au fond de moi cachée du monde, loin des yeux indiscrets. Mon monde n’est que simplicité et candeur. L’océan me nourrit, l’océan me berce, l’océan me fait vivre et un jour, peut-être, m’emportera-t-il. J’ai depuis un long temps abandonné ma vie. Elle n’est plus de mon ressort et d’une certaine manière, elle ne l’a jamais été. Je ne suis rien d’autre que ce que je suis jusqu’à ce que je ne sois plus et cela me convient amplement. Les attaches de ce monde m’ont depuis longtemps déçues. Déception après déception, j’ai appris à accepter l’inacceptable réalité d’un monde égocentrique et capitaliste. Rien ne m’appartient et je n’appartiens pas à ce monde. Quelle bouffée d’air frais que de lâcher prise, de se détacher de ce qui au fond ne porte aucune importance.
Je ne cesse de pêcher, je ne cesse de veiller. L’océan cache des trésors encore faut-il être présent pour les entrevoir ou pour tout simplement les voir passer. L’océan pourvoit à mes besoins. Mes ambitions sont inexistantes. Je ne prétends à rien d’autre qu’à la recherche d’un meilleur moi. Je pêche pour oublier que le monde m’a depuis longtemps oublié. A son écart, j’ai appris à communiquer, silencieusement, avec le silence. Mon langage n’est plus de mots, mes mots ne sont plus des mots. A force de mutisme, les expressions ont pris une toute autre dimension.
Pauvre en apparence, ma richesse est immense. Aucun besoin anime mon coeur, aucun manque meurtri mon esprit. L’abondance borde ma route et mon chemin. Il n’en a pas toujours été ainsi et il n’en sera certainement pas toujours ainsi. L’apprentissage se fait dans la douleur, la récolte se fait après avoir semé. Mes récoltes n’ont rien d’extraordinaires mais nourrissent mon être d’une façon que nul autre aliment ne le pourrait. Aussi étrange que cela puisse paraitre, malgré la tendresse de mon coeur, la solitude est mon pain quotidien.
Je pêche l’esprit libre naviguant ici et ailleurs, traversant eaux et rivières, mers et océans, villes et villages. Le sourire aux lèvres, mon dur labeur me rend heureux. Mon travail n’en est pas un, mon corps est en une prière constante. Le temps n’existe plus, le temps n’a plus de valeur, le temps ne m’atteint plus. Il est possible que je sois coincé dans un rêve totalement inconscient des réalités de ce monde. Il est encore possible que la mer m’ait depuis longtemps emporté. Entre la vie et la mort, entre le monde et les cieux, entre l’eau et la terre, entre ici et là, tout et rien, je pêche dans une eau sans fin. Aucun poisson n’a croisé mon hameçon et pourtant la faim ne m’a toujours pas atteint. Je suis un pêcheur au chapeau de paille, je suis une pièce d’un bien grand puzzle, je suis un homme mort bel et bien vivant, je suis un hérétique aux prières constantes, un fou aux paroles sages, un pêcheur au manteau pourpre.