L’homme et l’océan.

Il se balade sur le navire les bras ballants, le cœur écorché. Tant de pensées lui viennent. Il est si dur de se concentrer lorsque l’esprit est attiré par les événements du passé. Enfin, il se laisse porter et s’arrête sur les rebords du bateau. Un intense inspire et profond soupir se font entendre. De l’extérieur, notre homme semble pensif comme pris dans un tourbillon de réflexions. Nul n’oserait l’approcher et engager la conversation, un monde le sépare de ceux qui se considèrent comme vivants. En observant l’immensité de l’océan, il se demande si les pleurs sont nécessaires à l’expression de la douleur, à l’expression d’un malheur. Malgré les événements, pas une larme n’a quitté le nid de ses yeux, pas une mauvaise parole les courbes de ses lèvres. Pourtant, la déception qu’il ressent lui semble grande. Elle est immense. Tout s’est effondré, à l’image du commencement. Que faire sinon accepter ce que, jamais, il n’aurait imaginé ?

Derrière toute chose se cache une raison, un pourquoi qui nous dépasse. Souvent, ce pourquoi prend l’escalier avant, d’un jour, peut-être, se révéler. À ce moment, seule la foi peut sauver, pense-t-il. Il lui semble inévitable de s’en remettre au Capitaine du navire avec un cœur assez fou que pour lui dire que Sa Volonté prévaut sur toute chose et qu’importent les turbulences de l’océan, il lui fera don de l’entièreté de sa confiance.

Alors, un miracle s’opère. En réalité, la douleur n’a guère disparu, mais son poids n’est plus sur ses épaules. Une légère lourdeur demeure, mais la paix qui l’habite habituellement reprend sa place. Pendant ce temps, le Capitaine ne cesse de sourire. Il n’a pas besoin de porter Son regard sur notre homme pour savoir. Il est Celui qui sait toutes ces choses. Celui qui mène le navire et qui offre asile à qui lui ouvre son cœur et offre sa vie, bien qu’imparfaite.

Notre homme laisse la réflexion le submerger. En observant le paysage maritime, il vient à prendre conscience qu’il existe un monde qu’il nous est visible et limité par notre vue, et un au-delà, un univers qu’il nous est encore impossible à entrevoir. Il sait que sa vision se limite à sa visibilité et se demande combien peuvent prétendre voir par-delà les brouillards. Et s’il leur est permis, un tel don, comprennent-ils les présages pour autant ?

Une vision lui apparaît ; une main se pose délicatement sur ses yeux. Elle lui souffle d’avoir foi, car Elle sait. Le brouillard Lui est inconnu, il n’existe que pour nous. Pour avancer et ne point se perdre sur cet océan, il est nécessaire de se laisser guider. La vue, l’odorat et l’ouïe ne sont d’aucune aide. Mais l’homme est homme, il lui est si difficile de renoncer à lui-même, à son désir de savoir, de diriger. Il fait obstacle à cette main et cette voix délicate. Il s’en éloigne pensant qu’il n’en a guère besoin. Ainsi, il se coupe de sa précieuse aide et des bienfaits du Capitaine. Capitaine dont la vue se porte au-delà de l’au-delà, pour qui rien n’est mystère et que l’intensité du sourire, jamais, ne s’amenuise.

Alors, l’homme se perd et vient à pleurer de ne plus trouver lumière sur le chemin qu’il pensait si éclairé par ses yeux. Il aurait tant aimé voir au travers des brouillards, percer les nuages, mais il ne le peut pas. Là, ne se trouve pas sa destinée. Ayant perdu ce lien invisible, il désespère encore et encore jusqu’à perdre presque toute cette lumière qui l’habitait jadis. Son errance est telle qu’il finit, à force, par se confondre avec la brume. Là, commencent sa misère, le début de la déchéance, sa descente aux enfers. Il cherche tant bien que mal à comprendre la raison de cette distance qui ne cesse de grandir en lui-même. Comment est-il possible de se sentir si loin de soi alors qu’on ne quitte jamais ses souliers ? Mais le Capitaine, Lui, ne cesse de veiller, le cœur serein. Il n’est pas soumis au temps, Il sait que tout est passage, apprentissage et qu’il faut pléthore d’épreuves, connaître le malheur de la distance pour apprécier le bonheur de la proximité. En temps voulu, Il sait que le cœur de l’homme reprendra son battement et que la lumière qui perce les brouillards lui sera indispensable. Alors, patiemment, Il attend sur Sa barque, sans jamais diminuer d’une once la paix , l’amour et l’espérance qu’Il porte à ceux dont Il est le berger.

À la suite de cette vision, une paix plus grande encore s’installa dans le cœur de notre homme. Il s’en remit une fois de plus au Capitaine. Comment douter de Lui alors que tant de fois, Il l’a repêché, lui qui n’espérait que la mort. Et même au travers de ces actes fous, Il n’a cessé d’élever notre homme plus haut dans la vie lui révélant les beautés cachées que peu d’yeux peuvent voir. Une fois de plus, il fit don de son malheur, de son être, de son cœur et après un long soupir et des frissonnements qui s’activaient dans l’ensemble de son corps, il quitta le rebord du bateau et, sans un mot, retourna à l’œuvre à laquelle il est appelé laissant l’océan se remplir de ses larmes, de ses espérances et de son amour. Il viendra un jour où tout cela prendra sens, un jour où l’océan révélera les misères qu’il a recueillies bonifier par la Vie, par les mouvements du vent inlassablement répétés sur la paume de sa lisse surface.

Ecrit le jeudi 14 octobre 2021.

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