Je connus le bonheur du soleil levant, de ses rayons perçant peurs et doutes. En ce temps, toutes les heures transpiraient de bonheur à un point tel que presque tous avons fini aveugles. Nous nagions dans un océan de rêve le prenant pour une réalité immuable, oubliant que dans un monde temporel, rien ne demeure éternel. Sage, aurait-il été, d’avoir affûté lames et boucliers, car derrière toutes lumières se cachent inévitablement une part d’ombre. D’ailleurs, le soleil finit par se coucher laissant les ténèbres s’établir.
Les ténèbres prirent place de la lumière condamnant et conquérant tout sur leur passage. Ce qui était jusqu’alors considéré comme beau devint laid, le sacré devint futilité, le désir prit place de l’amour. En des mots simples, les valeurs se transformèrent en leur opposé respectif et inférieur. En haut, les étoiles continuaient à briller, mais il n’y avait plus d’yeux pour les voir. Le ciel n’était plus bleu, mais noir. Il ne fut pas la seule victime de ce bien triste évènement. Les âmes, de partout et de tous genres furent également victimes de ce fléau qui, à mesure qu’il avançait, chassait, par une force nouvelle et pernicieuse, le courage et l’espoir des hommes. Le poids de ce changement affecta le monde dans son entièreté. Beaucoup finirent aveuglement par se confondre avec les ténèbres croyant qu’elles étaient lumières. Personne ne fut épargné, aucun homme ne put résister à cet assaut. Tout cela se réalisa en très peu de temps, mais cela suffit à éteindre grand nombre des lumières de ce monde. Il n’était question, à l’échelle de l’humanité, que de quelques jours, mais en réalité une éternité venait déjà de s’écouler. A l’image du temps, les cœurs et les pensées étaient éteints. Comment croire qu’un jour, lumière et espoir reviendront animer les cieux ? Comment continuer à croire qu’un jour nouveau se lèvera et réchauffera la profondeur des cœurs ? Comment garder la Foi là où tout est éteint ? Voilà les questions qui animaient les plus tenaces des hommes.
Comme durant les jours précédents, la nuit était agitée et ne laissait aucun répit à ceux qui tentaient de ne point s’endormir. Le froid avait établi son royaume bien que beaucoup s’amusaient à dire que le monde subissait un réchauffement climatique. Malgré les ténèbres grandissants et ma petitesse face aux évènements dont je ne pouvais me dérober, mon coeur ne cessait de veiller. Mon corps tout entier ne cessait de trembloter et mon esprit, lui, n’avait plus rien à voir avec ce qu’il était jadis. Ma mémoire n’existait plus, je n’avais plus aucun souvenir de qui j’étais et de ce qu’auparavant, je pouvais considérer comme paradis. Ma vie tout entière était dénuée de sens, ma personne elle-même n’avait plus de raison d’être. Je ne faisais que subsister pour une raison qui me dépassait encore. Tout autour de moi, il n’y avait que décombres, morts, violences et peines. Il n’y avait plus rien de vivant, plus même de pain pour satisfaire notre faim. Dans ce désespoir total, là où le silence, seul, peut s’inscrire entre la souffrance et le désir d’en finir, je n’eus cesse de me répéter, en mon for intérieur, qu’aucun combat n’est vain et que toutes expériences, même les plus sombres, ont raison d’être. Le combat qui devait avoir lieu était plus profond que ce que je pouvais imaginer. Il était d’ordre mondial et personnel à la fois. Il était question de nous, mais avant il fallait que je vainque ma propre personne, que je la conquière et l’asservisse à plus grand que moi. Toute cette souffrance devait avoir un sens, une raison d’être. Elle ne pouvait pas juste être un marteau qui existait seulement pour m’enfoncer des clous jusqu’à ne plus en pouvoir. C’est alors, par un hasard certain, qu’une volonté prit naissance en moi.
Tremblant de tout mon être, je me levai, chancelant. Ma volonté ou plutôt, mon but nouveau me donna la force nécessaire à un tel exercice. Sans réfléchir à comment, ni pourquoi, n’écoutant rien d’autre que mon instinct et ma voix intérieure, j’allai chercher mon glaive qui n’attendait d’autre moment que celui-ci pour enfin servir. La peur m’habitait, cela serait un mensonge et malhonnête que de tenter de l’occulter. Cependant, je ne laissai pas cette obscurité grandir en moi. La ténèbres avait depuis trop longtemps déjà pris possession de mon corps et de mon esprit. Il était temps d’enfin sortir, sortir de cette demeure qui me rendait inapte à toute chose, de cette demeure qui m’empêchait de respirer, de cette demeure qui m’assombrissait à mesure que je me réfugiais en son sein. Il était temps d’affronter vent et marée, il était temps d’enfin affronter la mort, ou plutôt d’enfin vivre. C’est ainsi, qu’animé par une force surnaturelle, je sortis l’épée du fourreau et de cette demeure qui avait presque causé ma mort. Dehors, la nuit battait toujours son plein. J’étais seul, haletant, chancelant, avec une fièvre qui me poussait à avancer et une fiévreuse volonté qui me faisait rayonner en cette bien sombre nuit. Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour me trouver face à face avec les bêtes les plus immondes qu’il m’avait été donné de voir à ce jour. Elles étaient hideuses, hargneuses et m’attaquèrent dès qu’elles me virent. Sans un doute, sans une ombre d’hésitation je combattis démons sur démons tuant ma peur par l’action. Je ne pris aucune pose, aucun répit. Cela faisait déjà bien trop longtemps que je m’étais endormi. Le combat était intense, à chaque victoire, un nouveau défi plus grand, plus fort et plus tenace prenait place devant moi. A mesure que j’avançais, il me semblait sentir des ailes pousser sur le dos. A chaque coup d’épée, c’était ma personne que j’avais l’impression de combattre, c’était mes propres démons que je voyais prendre forme. Cette éternité passée dans les ténèbres avait failli éteindre le semblant de lumière qui subsistait en moi. Elle m’avait transformé en un monstre abject, commun à ce qu’était devenu le monde. Elle avait fait de moi un démon pour moi-même, un démon pour les autres, un pêcheur à l’image du monde. Ce semblant de confort qui m’était vendu comme un paradis n’était rien d’autre que les feux de l’enfer. Il n’était rien d’autre qu’une illusion démoniaque. Inconsciemment, j’avais décidé de troquer ma personne et mon âme contre un semblant de confort. Il me fallait me libérer et il n’y avait d’autre manière que la lutte. Les éléments se déchaînaient contre moi, le vent, la pluie, le ciel. Je criais de douleur sous les coups d’épées qui me transperçaient le coeur et à chacun des coups que je portais à mes adversaires. La douleur était partagée, chaque mort chez l’ennemie sonnait comme la mort d’une partie de moi. Seul face au monde j’étais, seul face à moi-même, il me fallait oeuvrer et délier le mal qui avait pris place en moi. Comment arriverais-je à m’aimer, à cesser de me détester, à cesser de m’identifier à cette ombre qui me possédait naguère ? Comment exister là où tout ne fait que subsister ? Ces questions me vinrent à l’esprit lors de mes combats tandis qu’une voix douce et limpide me susurra à l’oreille que seul ma pleine présence fera toute la différence. Mon instinct pris le dessus me forçant à lâcher prise et à laisser cette voix s’inscrire au plus profond de moi.
Le combat que je menais me mena aux derniers remparts de la résilience. Tout en moi était enduit de fatigue. La force surnaturelle qui m’habitait ne s’atténuait pas, mais moi, homme de peu de Foi, je me trouvai proche de la mort et de l’exténuation. La nuit était profonde et je n’avais cessé de me battre depuis. Mes forces me quittaient à mesures que le temps avançait. Mon corps, aussi robuste qu’il était, finit par rendre l’âme. Tombant à genou, l’épée en main, mais n’ayant plus de force pour la lever, je regardais le ciel, un sourire aux lèvres. La mort me narguait, la fin était proche et pourtant, je nageais dans un bonheur proche de l’euphorie. Plus rien n’importait, il n’y avait pour moi plus de passé, plus de futur, seulement cet instant magique où tout semblait parfait et vivant. Tout prenait sens depuis que j’avais eu le courage de prendre l’épée. La mort, elle ne m’impressionnait guère. Elle pouvait prendre mon corps, mais mon esprit, lui, était en paix. Rien ne pouvait le troubler, il avait oeuvré jusqu’à la fin. Il avait combattu ses propres démons, il avait dépassé l’homme, il l’avait sublimé après l’avoir quelque peu grimé. Quelle beauté qu’est la mort, elle est la célébration de la vie. Elle est ce qui donne raison à la vie. A la vie, à la mort dit-on à d’autres… Peut-être serait-il temps de se le dire à soi-même. Cher moi, sache que je suis fier d’avoir combattu avec toi et à tes côtés. La mort nous séparera peut-être de ce corps, mais dans l’au-delà, sache que nous l’avons transcendé. Nous sommes morts à nous, morts au yeux du monde, mais il n’y a d’autre chemin pour enfin être vivant. Saches qu’il n’y a de victoire sans combat. Tout comme il n’y a de rédemption sans abandon. En parlant d’illusion, n’était-ce qu’un rêve ? Qu’importe, en moi l’âme d’un guerrier vient de s’éveiller.