Ecrits de passage

Désir de perfection.

Désir de perfection, début d’imperfection. L’expression qui est mienne se corrompt dès qu’il est question d’exister en ce monde. Venant du haut, pour s’inscrire ici-bas, les mots sont manquants. Etre ce que l’on est, n’est jamais suffisant. Ce que l’on fait, est rarement à l’image de ce que l’on est. Nageant dans un océan de confusion, comme face à la beauté d’une femme, l’homme s’exprime sans jamais être capable d’articuler clairement la pensée qui l’anime.

L’esprit, vagabondant à des kilomètres de l’instant présent, absent quand tout l’être, d’une seule et même main, oeuvre à la tâche, se noie dans un désir de conquête de l’absurde. Absurdité, que de vivre d’insatisfaction et de désir de sublimation incessant, lorsque tout ce qui est, poursuit une fonction qui lui est propre. 

Propre, vue d’un oeil profane, les oeuvres jamais ne satisfont l’avidité de leurs auteurs. Auteurs, certes, mais qu’est-ce que la création si elle ne répond guère à des inspirations plus hautes que celles qui encombrent leur tête? Oh ma tête, elle n’est plus sur mes épaules depuis belle lurette. Elle nage, bien loin, dans les cieux tandis que mon corps, lui, sous le poids de mes fantaisies, s’enfonce un peu plus dans la matière. 

Donner forme à l’intangible n’est pas une mince affaire. Lorsque le désir de perfection prend le dessus, la réalisation se noie dans l’oisiveté. Oisif, je perds de vue l’oeuvre qui, jour après jour, s’éloigne et se transforme en un idéal inconcevable. Imparfait, selon la vision que je m’étais fait, mes mains ont cessé d’user du marteau laissant inachevé ce qui aurait pu, à force d’acharnement, être parachever. Victime de mes propres penchants, voulant faire mieux que bien, mon avidité d’excellence se révèle être ma voie de déchéance.

Qu’importe sa forme, la création, jamais, ne satisfait l’esprit qui, dévoré par un idéal, ne voit que lacunes et manquements. Rien ne satisfait son appétit hormis la représentation tapis au fin fond de son esprit. Inconcevable car imaginaire, l’homme cède au désespoir voulant sans cesse parfaire ce qui n’a besoin de l’être. Oeuvres après oeuvres, le résultat suscite les mêmes sentiments : joie éphémère et déception constante, un cocktail bien explosif. La création s’apparente, de plus en plus, à mesure que l’homme s’y attèle, au dessein imaginé, mais jamais ne l’effleure. Dure tâche que de mettre au monde ce qui est de l’esprit, quel supplice de s’éloigner de l’inatteignable à mesure que l’on s’en rapproche. Le regard pointant sans cesse vers le résultat, absent lorsque son oeuvre prend forme, ne nourrissant point de son être l’édifice en création, comment espérer un résultat qui soit autre que de la déception?

Force est de constater que seul l’amertume envahit ma gorge. Ne cessant de porter attention à ce qui ne sera jamais, il m’est impossible d’apprécier la bonne heure. Le bonheur, ou plutôt la félicité ne me sont pas donnés. Mes yeux, eux, ne voient que du feu. Pointant dans la mauvaise direction, ils ne perçoivent pas que mon oeuvre est parfaite en son essence car, sans cesse, mes mains, mes pensées et ma volonté tentent de la transmuter. Désir de perfection, début d’imperfection. Le monde n’est-il pas un tableau vierge qui n’attend qu’une seule chose ; qu’un peintre saisisse un pinceau et y dépeigne ce qu’il y a de plus profond en lui ? N’est-ce donc pas cela la vraie perfection, amener à la lumière nos parts les plus imparfaites et taire ce qui gît dans notre esprit ?  La perfection n’est rien, se parfaire, voilà une quête qui me semble bien plus vertueuse. 

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