Ce n’est pas vraiment un secret que je vais te révéler, loin de là. C’est du bon sens, tu l’aurais sûrement deviné sans moi, sans que je te le partage de vive voix. On n’est pas des gentils, ça non. Dans le fond, on est des vrais truands, on aimerait retourner le monde, tout faire à l’envers avec un sourire d’enfant. Tu vois un peu le truc, je suis sûr que tu as déjà eu envie de faire la même chose toi aussi. Mais on ne s’y autorise pas, surtout en ayant grandi jusqu’à notre âge. On n’est pas spécialement vieux, faut pas croire ça, la trentaine, c’est encore l’éternelle jeunesse. Il nous reste encore tout à découvrir, et nous-mêmes à redécouvrir. Pourtant, les réflexes de notre tendre enfance sont toujours là, et plus fort encore qu’hier. L’âge ne nous calme pas, enfin seulement en apparence. À l’intérieur, le même feu continue à brûler, la même essence nous habite.
Je vais te dire pourquoi on agit de la sorte, sagement, c’est simplement qu’on nous a appris à agir ainsi depuis tout petit. On nous a muselés pour éviter que l’on ne morde à tout-va. Il faut croire que les petites dents de lait font bien peur, si on l’avait sues à la bonne heure. On aimait ça pourtant, se brûler et défier les limites jusqu’à les voir s’effondrer. C’est la norme qui a été érigée, de se retenir et de ne pas exagérer, enfin, peut-être pas chez tout le monde, ça, c’est sûr. On te fait payer bien cher, tes erreurs, même les plus petites. Tu pars en taule s’il le faut, au mieux, on te punit simplement dans le coin avec une chaise à porter bien haut à l’aide de la force de tes petites mains. Ça fatigue, c’est vrai, mais ça endurci. Regarde-moi, je suis loin d’être mort, au contraire, je me suis aguerri. Secrètement, toutes ces duretés de la vie, je les remercie.
Ce qu’il se passe en moi pour l’instant est un peu spécial. Je n’ai jamais ressenti un tel appel avant. J’ai envie de tout faire exploser, de voir voler en éclats tout ce que j’ai pu construire de bien de ma vie, en apparence du moins. Je veux être à nu, à fleur de peau, loin de toutes ces images que j’ai voulu créer et montrer au monde comme si j’y étais de la même couleur, cette couleur de perfection. Tout dévoiler, absolument tout, surtout le moche, le sale, ce qu’on aimerait, en réalité, caché. J’ai bien trop écrit sur le beau, j’en ai eu ma claque, bien fermement sur ma joue encore rouge. Je suis un rat, un rat d’égout, sache-le !
Si je le pouvais, je ferais le mal sans même me retourner, heureux de ne subir aucune conséquence, aucun jugement. Je m’imposerai du haut de ma taille avec ma force comme appui pour garder au sol ceux qui me dérangent. Je prendrai l’arme, et irai à la conquête du monde jusqu’à ce qu’une couronne se pose sur le sommet de mon crâne. J’irai narguer la mort, en flirtant avec, toujours plus près, toujours plus follement. J’ai une appétence pour le combat, un désir de m’élever qu’importe le poids, mais je n’en fais rien. Je sais le prix de mes actions, la résultante de mes folies. La sentence ici-bas est bien sommaire en comparaison avec celle qui est éternelle. Ah ! On serait si mauvais, si on le pouvait. On n’agit bien, non pas par envie, mais par peur, par peur d’avoir à subir la chaîne du karma. Boomerang, petit boomerang, pourquoi me reviens-tu si fort ? Si j’avais su, je ne t’aurais jamais lancé, pauvre petit con que je suis.
On aimerait faire le mal, mais on ne se le permet pas. Ça, je peux te l’affirmer sans même hésiter une seconde. Encore aujourd’hui, je souffre de mes trop bonnes actions, comme si au fond de moi, une partie était occultée. Elle a bien le droit de vivre et de s’exprimer bordel ! Tu ne le penses pas toi aussi ? J’en ai marre de la taire, de la laisser en sourdine alors qu’elle crie en moi. Elle crie tout le temps, et de plus en plus fort depuis un temps. Elle veut exister, même un petit peu, elle qui m’a toujours semblé si vile, si peu adaptée à la vie en société. La perfection, je lui crache dessus. Je ferais pire encore, si je le pouvais. Tu n’imagines pas ce que ça me coûte de m’en remettre au mieux, à la bonne action. J’aimerais aussi vivre sans réfléchir comme font les autres, sans me soucier du poids de mes actions, mais je n’y arrive pas. Bordel, je n’y arrive pas ! J’ai quelque chose qui me limite en moi, depuis ma plus tendre enfance. Une voix qui tente de me garder droit, enfin, c’est ce que je crois. Ça me fatigue dans le fond, j’ai juste envie d’élever la voix et d’écraser ce qui me dérange. Ça serait tellement bon, oh ! Oui, si seulement je le pouvais ! Pour tout te dire, j’en suis arrivé à la conclusion que tout est question d’équilibre. Le bien, je ne peux pas toujours le faire. Il y a une part de féminin dans le masculin, une part de masculin dans le féminin, une part de bien dans le mal, une part de mal dans le bien. Le tout est de trouver son équilibre, pour ne pas que s’inverse la vapeur. Ah ! Foutue vie, à chaque avancée, il nous faut retourner en arrière. Je suis fatigué de toujours tout recommencer, pourtant, c’est par ce chemin qu’il nous est demandé de passer.
Écrit le mardi 26 janvier 2022.