Ecrits de passage

Ce regard sans équivoque.

La réceptivité dont elle faisait part me dérangeait. Il n’était qu’un vestige du passé, une histoire depuis longtemps oubliée, m’affirmait-elle sans sourciller. Pourtant, au sortir de cette soirée, elle ne put retenir son sourire et son regard cherchant le sien. Que se passait-il devant mes yeux sans que je ne puisse en saisir la teneur ? Mon sixième sens, bien que peu aiguisé, sentait qu’un lien était toujours présent, qu’une force invisible continuait à les unir. N’était-ce que mon imagination ou le fruit d’une jalousie non exprimée ? Dur à dire. Je ne suis pas de ceux qui souffrent excessivement de ce mal qu’est la jalousie. Le fait de connaître ma réaction si une action indésirable se produit me permet de demeurer dans un sentiment de confiance. Qu’importent mes actions, si l’être aimé souhaite faire quelque chose, il le fera. Le reste n’est souvent qu’une excuse, bien qu’il puisse arriver qu’un comportement mène à une dérive, mais dans ce cas, tout n’était qu’une question de temps.

Pour dépeindre quelque peu le décor, et vous donner assez d’informations que pour comprendre, nous étions en relation depuis plusieurs années. Un chiffre banal situé entre 2 et 4 ans si mes souvenirs sont exacts. Je n’aurais pas la prétention d’affirmer que notre relation battait d’aile. On pensait s’aimer et s’offrir à l’autre, enfin, au moins de mon côté même si, je dois l’avouer, je pressentais en mon for intérieur qu’elle n’était pas celle que je recherchais. Je m’en étais aperçu bien assez tôt. Cependant, je voulais y croire, je voulais percer ce voile qui m’empochait de m’inscrire dans une relation dépassant les trois ou quatre mois. Elle semblait me désirer, et elle se montrait présente et en recherche d’une histoire plus profonde qu’une simple embrassade. Comment s’y refuser ? Comment ne pas être attendri par cette intention. Dans le fond, je pensais avoir un problème, une incapacité flagrante m’empêchant de m’engager sérieusement, ou alors ce n’était qu’une faculté aiguisée m’informant de mon incapacité à m’investir plus longtemps dans une relation qui, bien que naissante, connaissait déjà la fin.

Curieux, n’est-ce pas, que de savoir sous une courte période, si pas instantanément, si le futur nous sera favorable ? En réalité, peu d’informations sont nécessaires. Cela dépasse l’ordre du conscient et du visible. Il faut goûter à la personne en profondeur, et pour cela, il n’est pas nécessaire de connaître son intimité. Un regard peut en dévoiler énormément, un sourire décrire la nature du cœur, une main tendue la sincérité des actes, un mot les profondeurs de l’âme. C’est un sentiment qui s’impose en nous, il nous susurre que quelque chose n’est pas aligné, tout en nous laissant libres de continuer à s’aventurer sur cette pente descendante. Beaucoup me crieront que nul ne peut savoir, que l’inconnu domine toute chose et que les inspirations ne sont que des mirages. Il faut avoir peu vécu, ou avec très peu de courage et d’estime pour l’homme que pour croire que seul le visible importe. Cependant, il est vrai que l’on n’est jamais à l’abri d’une surprise, d’une mauvaise évaluation. Il faut parfois persévérer pour commencer à voir, mais pour agir de la sorte, n’est-il pas nécessaire qu’un but puissant nous habite ou qu’un vent impérial nous impose un chemin ou une action précise ?

Pardonnez-moi, le vieil homme en moi s’est aventuré dans bien des sujets pouvant laisser croire que le fil d’Ariane fut perdu. N’en croyez rien, nos moutons n’ont guère bougé et j’y retourne à l’instant. Je savais dès le commencement que cette histoire ne serait pas ma dernière. Le jeune homme en moi souhaitait encore voir du paysage. Il se sentait limité, incompris malgré son désir et ses efforts pour l’être. Il cherchait tellement à l’être qu’il en perdit sa voix courant derrière le bon vouloir de celle qu’il désirait. Peut-on courir éternellement sans subir de contrecoup ? Peut-on s’éloigner de soi et s’approcher de l’autre sans passer par un vide total ? Ce qui est sûr, c’est que le désir de bien agir me dominait. Je voulais voir les choses marcher et dompter le mâle à l’intérieur. Ceux qui ont été en relation savent que le temps nous amène à ne plus voir le futur avec une autre personne. Alors, on se dit à quoi bon espérer, observer et désirer en dehors de ce qui est entre nos mains ? On offre le mariage pour appuyer sa sincérité, pour qu’un cadre des plus rassurants puisse donner un second souffle à l’aventure. Comment croire que l’effet contraire prendra le dessus ?

Ce qui est curieux, lorsque l’on observe les relations avec une distance assez grande que pour ne plus souffrir des émotions, c’est qu’une tout autre lecture se fait entendre. Soudainement, tout prend sens, les inconnues se relient. On court constamment vers les autres pour être en couple, pour s’enfuir loin grâce aux voyages, pour vivre pleinement la vie qu’ils disent. La réalité est souvent tout autre. Pour elle, son passé était toujours son présent et son présent était déjà son passé. Elle cherchait simplement à oublier, à se reconstruire sur le dos d’un autre. N’est-il pas plus aisé de bâtir lorsque plusieurs mains viennent nous aider ? Il en était ainsi de notre relation sauf que le discours officiel était bien différent. Elle aimait cet homme à qui elle avait offert ses premiers instants d’intimité, celui avec qui elle avait tout commencé. Elle espérait que cette nouvelle histoire lui ferait oublier l’ancienne, tout en espérant que l’ancienne reprenne. Elle voulait aimer, mais souffrait de ne pouvoir oublier un autre. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on voit son premier amour comme le dernier ? Comment arriver à la cheville de celui qui a transformé une jeune fille en une femme, une femme qui s’est totalement offerte pensant que ces instants dépasseront l’ordre du temps et qui ne peut plus s’offrir le luxe de s’offrir, de peur de se perdre, et de connaître un nouveau martyr ?

Écrit le 29 juin 2022.

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