Quel est ce charme qui garde deux inconnus liés l’un à l’autre ? Je me questionne quant aux raisons qui poussent à se revoir. Au début, l’intérêt est stimulé, on souhaite se découvrir, s’apprendre. Tout est nouveau, flambant neuf et appelle notre curiosité. On pourrait passer des heures à découvrir les recoins cachés, l’histoire derrière les cicatrices, les larmes derrière les sourires factices, les sourires derrière les visages peu évocateurs. Les premiers instants jouissent de cette unicité, de ces plaisirs nouveaux, de cet inconnu captivant.
L’intérêt est piqué, le feu peut continuer à brûler. On change d’angle, on s’apprend sous une nouvelle lumière. On tente d’éclaircir les zones d’ombre, celles qui ne sont accessibles qu’avec le temps. On se laisse approcher en même temps qu’on se rapproche. On s’apprivoise l’un l’autre en se suivant et s’écartant continuellement. On finit par éteindre le mental. On se veut naturel, honnête et transparent. La conscience range l’arme dans l’armoire, la méfiance s’est éteinte. On est désormais nu, complètement à fleur de peau.
Petit à petit, la nature de l’aventure change. Le nouveau devient banal, on s’habitue à tout, même à l’éternelle. Les paysages que l’on voit continuent à changer, mais l’excitation n’est plus la même qu’auparavant. Une forme de vide s’invite, comme si la relation, déjà, avait été consommée. On a le sentiment d’avoir touché le bout alors que peu de temps est passé. On se pose des questions, pourquoi un tel changement ? Le temps devrait nous rapprocher, n’est-ce pas ? Permets-moi de te demander quelle hauteur tu visais en débutant cette relation ? Les plaisirs des moments partagés persistent, mais l’avenir, soudainement, prend une teinte sombre. On réfléchit à demain et ne pense plus au présent.
Un nouveau jour se lève et les yeux, par imitation, s’ouvrent et s’écartent de la vision qu’ils portaient jusqu’à présent. Le regard, pris par un, je ne sais quoi qui le dépasse, s’élève et quitte les pieds, les jambes, le buste, les lèvres jusqu’à atteindre le ciel. Une question se pose, où va-t-on comme ça ? C’est fou comme on peut se laisser prendre par les aléas de la vie sans les réfléchir, sans les penser, sans se demander s’ils nous correspondent. On se trouve pris dans une histoire sans savoir ce qu’on fait dedans. On a simplement suivi la danse, voulu connaître un bonheur, celui de l’instant, sans chercher plus loin, sans semer des graines, des semences pour qu’une quelconque fleur puisse sortir de terre et s’élever, si possible, jusqu’au ciel.
Alors, on tente de s’imaginer dans un futur proche ou éloigné. On y intègre l’image de l’être apprécié, car on aime rarement, même si on le dit bien trop souvent. Combien confond le sentiment amoureux avec l’amour ? Il y a un monde entre les deux, l’un est temporaire, apparaît et disparaît en peu de temps, l’autre est éternel, il a un goût d’ailleurs et ne se consomme pas, non, il se partage et grandit jusqu’à ce que la mort sépare. Une fois que le regard se porte plus loin que l’immédiat, on se rend compte de l’incompatibilité des choses que l’on vit. On peut les supporter un temps seulement, mais on se fatigue à force de ne pas être aligné avec soi-même. Le temps peut varier en fonction de la personne liée, mais la vérité, qu’importent nos supplications, s’impose toujours et nous blesse. Son but n’est pas de faire mal, mais la vérité ne cherche pas à se faire apprécier non plus. Elle dit ce qui est, qu’importe ce que l’on souhaite. Et on souffre, non pas de la vérité, mais de la mort des mensonges qui persistaient en nous jusqu’à son arrivée.
Les souvenirs prennent une tout autre saveur. Oh oui, qu’ils étaient beaux ces souvenirs ! On se souvient de la première rencontre, sans la même perfection qu’avant. On a même oublié la date, mais pas les sentiments. On revit en sensation ces moments perdus, inscrits dans l’arbre du temps avec une nostalgie nouvelle. Tout était encore possible en cet instant, mais les choses ont changé depuis. Du premier regard, au premier touché, quelle épopée. Les corps se découvraient de leurs chaînes, sans honte apparente. Le cœur se taisait et laissait le corps prendre le relais. Parfois, les mots sont superflus. Ils empêchent aux événements de se manifester. On ne vit plus l’instant, non, on le pense et il arrive que cela nous suffise. Alors, rapidement, on met la main à la pâte. On tente de se taire, ou de faire taire l’autre. On s’agite, on fonce et on s’oublie. Après tout, n’est-ce pas le but caché derrière toute aventure irréfléchie que d’oublier, que de s’oublier ? On fuit notre réalité en quelque sorte. On veut vivre du mensonge, car il est dur de ne pas brûler lorsque le soleil de la vérité nous envoie ses rayons. Le corps prend le relai car les sentiments stagnent. On est arrivé à une limite, une limite de taille. Les plaisirs ne sont plus les mêmes. On cherche l’autre pour soi-même se satisfaire. Plaisir solitaire, solidaire du désir de l’autre. On souffre sans comprendre, on s’offre sans trouver un quelconque réconfort. On sait que la fin n’est pas proche, non, elle est déjà là. La relation ne survit que puisque hier existe encore aujourd’hui et on en profite tant qu’on peut, tant que l’autre nous le permet.
Plus rien n’est pareil, on ne se reconnaît plus. On veut de moins en moins en faire sans que rien de visible n’ait réellement changé. On se questionne encore sans avoir de réponse. Dans le fond, on la sait, la réponse qu’on fait semblant de ne pas trouver. Depuis le début, on sait ce qu’il allait se passer, mais on a préféré lancer les dés et laisser le hasard nous guider. On s’est abîmé l’un l’autre en pensant s’aimer. Le drap blanc s’est couvert de sang, plus jamais nous ne serons pareils. Plus jamais nous ne connaîtrons de première fois. On est usé et pourquoi ? Pour un plaisir d’un temps, sérieusement ? SI on avait su, on aurait fait autrement, mais on ne sait jamais, non, on ne sait jamais. On entend la télévision à longueur de journée. Ils nous parlent de conneries sans jamais nous instruire. C’est ça la vie, laisser les autres pourrir ? J’aurais aimé moi que l’on m’apprenne, que l’on me dise la portée de mes actes. J’aurais aimé la laisser vierge moi, vierge de toute marque de ma part. Maintenant, elle en souffre. Elle m’a en elle qu’importe le temps qui passera et les hommes qu’elle rencontrera. Mais je ne savais pas moi ça ! On ne me l’avait pas dit. Dans le fond, je l’aime, mais pas comme une femme avec qui on fait sa vie.
Vous savez, le soir, je m’en veux d’être devenu un homme auquel je n’ai jamais aspiré. On vit notre vie par défaut à défaut de connaître mieux. On se laisse guider par ce qu’on nous offre, c’est-à-dire bien peu. On sourit tout le temps, mais dans le fond, on souffre atrocement. On cherche le contact des autres, pour oublier qu’on est seul. Pourtant, même avec les autres, on se sent seul et encore plus seul que d’habitude. On espère que notre malheur s’en ira, alors on boit, on fume, on baise. On vit une vie décadente, car on a perdu tout espoir. On n’aime plus, on ne veut plus s’aventurer là-dedans. Et vous savez ce qui est fou ? C’est qu’on a fini par ne plus s’aimer, ne plus se voir dans le miroir. Si on se voyait, vous savez ce qu’on ferait ? On casserait la vitre de toute notre force. On enfoncerait notre tête dedans jusqu’à ce que le sang couvre notre image. C’est violent, mais c’est la vie. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, quitte à se perdre. Il vaut mieux se voir mort plutôt que de voir l’homme qu’on est devenu. Je sais, je me suis écarté de l’histoire, mais c’est ça aussi la vie : se perdre dans ses récits.
Écrit le dimanche 18 juillet 2021. – Réécrit le samedi 18 décembre 2021.