Ecrits de passage

À force de tomber.

Vous voulez savoir ce qu’il se passe lorsqu’on se dégoûte ? On souhaite se faire du mal, se détruire de l’intérieur. C’est bien moche de penser de soi de la sorte, mais on n’y peut rien. Ça nous dépasse, on est comme un démon qui se martyrise lui-même. Peut-être qu’on laisse enfin notre seconde nature se dévoiler. On tente tellement d’être parfait qu’on finit par titiller le pauvre petit monstre qui sommeille en nous. Vous pensiez qu’il resterait assis sans rien faire tandis qu’on tente de l’étouffer ? Non, il est bien plus malin que ça, il sait qu’on finira par se fatiguer. Il attend sagement qu’une peine arrive, qu’un troue se forme en nous pour sortir du sien. Il a aussi besoin de s’exprimer le pauvre, et quand il le fait, il ne se gêne pas pour élever la voix. Trop souvent, on lui barre la route, on ne s’autorise pas à laisser le feu en nous s’exprimer. On veut être doux comme l’agneau, moelleux comme le miel. C’est peut-être ça la folie, de ne s’autoriser qu’une seule expression.

C’est curieux lorsqu’on y réfléchit, cette manière que l’on a de juger tout et tout le monde en se basant sur notre seule réflexion comme si le monde se limitait à notre regard. Il existe pourtant autant de réalités que de personnes, ne croyez-vous pas ? Généralement, on se juge aussi durement, voire bien plus durement que l’on juge les autres. C’est peut-être pour cette raison que certaines personnes finissent par commettre des actes qu’ils n’auraient jamais cru possibles et qu’ils n’arriveront jamais à comprendre. Quelque chose les ronge, ils se sentent mal. En vérité, ils souffrent d’eux-mêmes. Parfois, cette souffrance est si forte que la seule manière trouvée est d’en terminer avec l’existence. L’amour personnel est brisé, on n’arrive plus à regarder ce qui se présente devant le miroir, et même à supporter nos pensées à notre égard. On se sent si laid, si ignoble. Certains s’aiment bien trop que pour s’infliger un pareil supplice. L’envie de vivre est bien trop grande que pour en terminer là, alors la solution est de se détruire à petit feu ou de devenir un monstre qui prend plaisir à faire souffrir ceux qui l’entourent.

Il existe toujours un point de départ, une cause, une douleur première qui justifie un comportement désespéré. Seul le désespoir peut nous faire ainsi sombrer. Il faut avoir beaucoup flirté avec le mort, pour couper la chaîne de la vie. La mort, elle sait comment nous manipuler. Elle a bien trop d’expérience pour nous laisser filer. Compte un peu avec moi depuis quand elle existe, personne ne le sait, mais ça fait belle lurette. Elle doit être aussi vieille que le temps, que le monde, ça, c’est sûr. Des comme nous, elle a dû en voir, et pas qu’un. Elle sait comment nous amener à ne plus croire en rien, à se détacher de tous les liens de la vie. Il vaut mieux ne jamais ne s’en approcher, ni chercher à discuter avec elle. Le mieux, je pense, est de rester à l’abri des ombres, dans la lumière et de garder une veilleuse lorsque la nuit pointe son nez. On n’est jamais assez fort lorsqu’on le croit, ça, tu peux me croire. Dans le noir de la nuit, il n’y a personne pour nous ramener. Il faut croire aux miracles.

Moi, j’ai plus honte de le dire, je suis un lâche. Un grand, comme on n’en fait plus. Je n’ai pas cette espèce de courage qui me permet de faire l’impensable. J’aurais trop de culpabilité, trop de remords. Et puis c’est un sacré pari que de sauter dans un trou sans savoir où il mène. Faut être sacrément aventurier… Imagine que ça soit encore pire de l’autre côté et toi, tu y es allé en courant. Ils vont bien en rire les autres, lorsqu’ils te verront arriver tout souriant pensant y trouver un havre de paix. La vie, elle m’a appris qu’on ne peut jamais rien fuir. Tout finit toujours par nous rattraper, le bon comme le mauvais. Je pense que certains parlent du karma, c’est peut-être ça. Il vaut mieux y réfléchir à deux fois, crois-moi, et faire comme moi, s’imposer des limites. Trop lâche que pour me faire du mal et trop sensible que pour en faire subir aux autres. Je préfère m’en remettre au destin pour choisir la date et l’heure de la fin. En attendant, je me contente de vivre, jusqu’à ce que je ne le puisse plus. À quoi bon se rendre la vie compliquée alors qu’elle l’est déjà tellement ? Autant marcher le chemin, s’en remettre au bon sens et laisser les étoiles s’aligner naturellement. Dans tous les cas, je ne veux plus m’écarter du droit chemin, c’est trop pénible d’affronter les à-côtés. C’est excitant, c’est sûr, mais quand on sombre, c’est si dur de se relever. On y resterait bien, même s’il faut crevant de chaud. Elle sait comment nous parler, avec sa faucille et sa longue robe noire.

Enfin, tout ça pour te dire que tout dure un temps seulement, le pire comme le meilleur. Ce n’est pas tant la force qui compte, mais la persévérance. Accepter la peine comme la joie avec un sentiment d’indifférence, ça aide. C’est un peu pour cette raison que tu me vois si peu expressif, j’ai assez donné. Puis, tu sais ce qu’on a reçu, on peut toujours le perdre alors à quoi bon s’y attacher ? Certains disent que je suis un blasé, je dirai simplement qu’à force de tomber, j’ai fini par apprendre mes leçons, comme tout bon écolier.

Écrit le 20 janvier 2022.

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